Depuis 2023, l’association Kaani Assistance mène en milieu rural une initiative communautaire portée par les femmes, appelée « Mama Télama », ce qui veut dire en français « Maman, lève-toi », ou plus largement, « Femme, debout ! ». Ce cri d’éveil est à la fois un appel à la conscience et une invitation à l’action. Il symbolise la volonté de remettre les femmes rurales au centre d’une dynamique citoyenne et politique et politique du territoire, en particulier sur la question cruciale de l’accès à la santé.
Mais, concrètement c’est quoi Mama Télama ?
« Une réponse locale à un désert médical persistant »

En République du Congo, les défis liés à l’offre des soins de santé sont énormes. Des centres urbains jusqu’en milieu rural, la situation est alarmante. Si dans les grandes villes, les populations rencontrent de nombreuses difficultés qui se traduisent par des grèves récurrentes dans les hôpitaux généraux, l’insuffisance des plateaux techniques et le manque de médicaments, dans les villages la situation est encore plus critique.
Le Centre d’Actions pour le Développement dans son rapport annuel 2022 : Pas de marche vers le développement sans respect des droits humains qualifiait le système sanitaire congolais de « désert médical » . Cette expression illustre bien la réalité de ces villages qui sont dépourvus de toute infrastructure sanitaire digne. Là où on trouve des Centres de santé intégré, la plupart d’entre eux sont vétustes, mal équipés et sous-doté en personnel soignant. Les plateaux techniques sont quasi inexistants, les équipements de base sont défectueux, absents ou obsolètes, et les médicaments sont rares. Dans certains de ces centres lorsqu’il y a présence d’un personnel soignant, celui-ci travaille dans la précarité.
Pour documenter la jouissance du droit à la santé par les femmes en milieu rural, l’association Kaani Assistance a visité quelques centres de santé intégré dans les départements du Pool, de la Bouenza et de la Sangha. Dans chacun de ces centres, le constat est sinistre : bâtiments dégradés, ruptures fréquentes de médicaments, absence d’équipement adéquat, manque de lits, d’eau potable, d’électricité, ou encore absence de personnel qualifié, notamment de sages femmes et de médecins. Face à cet état de fait, ces centres ne remplissent pas convenablement leurs attributions.
Pourtant le Décret-n°2020-553 du 15 octobre 2020 portant attribution-organisation et fonctionnement des organes de gestion des CSI et des postes de santé précise bien les attributions des CSI et postes de santé au Chapitre 2, dans les articles suivants :
« Article 8: Les attributions d’un centre de santé intégré sont celles qui relèvent du paquet minimum d’activités définies à l’article 9 du présent décret.
Article 9: Les attributions du centre de santé intégré à paquet minimum d’activités standards couvrent les activités préventives, curatives, promotionnelles, palliatives et réadaptatives constituées, notamment,
des activités préventives : la vaccination; la consultation préscolaire; les soins prénatals; la planification familiale; le suivi nutritionnel.
activités curatives: la consultation; les soins des épisodes aigus et chroniques: la récupération nutritionnelle; les soins palliatifs; les soins réadaptatifs.
activités promotionnelles : l’information, l’éducation et la communication pour le changement de comportement: les visites à domicile; l’hygiène et l’assainissement ;
Article 10: Les attributions du centre de santé intégré à paquet minimum d’activités élargi aux accouchements concernent, les accouchements en plus du paquet minimum d’activités standards, citées à l’article 9 du présent décret.
Article 11: Les attributions du centre de santé intégré à paquet minimum d’activités élargi aux actes chirurgicaux de base, concernent les interventions chirurgicales et obstétricales en plus des accouchements et du paquet minimum d’activités standards, citées à l’article 9 du présent décret.
Article 12: Les attributions d’un poste de santé sont celles qui relèvent du centre de santé intégré à paquet minimum d’activités standards définies à l’article 9 du présent décret, notamment : dispenser les soins de premier recours: référer les patients en cas de nécessité; participer aux activités préventives et promotionnelles de l’aire de santé ; exécuter toute autre activité sur instruction du chef de centre de santé intégré dont il relève.. »
Dans la réalité, ces normes sont loin d’être respectées.
« Une dynamique de sororité et de participation citoyenne »

Face à cette situation, l’initiative Mama Télama est née de la volonté des femmes de s’organiser, de se soutenir et d’agir ensemble. Ce programme repose sur le principe de solidarité communautaire. Les femmes se regroupent dans le but de mutualiser les coûts liés à l’accès aux soins (consultations, accouchement, médicaments…,) mais aussi pour créer des espaces de dialogue et d’action commune.
Toutefois, l’objectif de ces mutuelles ne se limitent pas seulement à l’accès aux soins. Elles sont aussi des espaces de conscientisation, d’autonomisation et de plaidoyer. Ces mutuelles sont des cadres pour permettre aux femmes de se former sur leur droits, les mécanismes de fonctionnement du système sanitaire, la prévention des maladies, la santé sexuelle et reproductive, mais aussi sur des questions transversales comme la nutrition, l’hygiène, ou encore la lutte contre les violences faites aux femmes.
L’un des objectifs fondamentaux de cette initiative est de faire émerger une citoyenneté active des femmes rurales. Mama Telama devient ainsi un levier qui leur permet non seulement de mieux maîtriser les enjeux de leur santé, mais aussi de dialoguer avec les autorités locales et sanitaires pour proposer des solutions concrètes à leurs problèmes et ainsi influencer les politiques locales.
L’Association kaani Assistance a pour l’heure facilité la mise en place de trois mutuelles de santé communautaire « Mama Telama ». La première, installée en 2023 dans le département du Pool, à Goma Tsé-Tsé Centre, regroupe 22 femmes. Celles d’Elogo (Sangha) et Kolo (Bouenza), mises en place en Mai et juin 2025, ont enregistré respectivement 21 et 38 adhésions lors de leurs Assemblées Générales Constitutives.
L’installation de ces mutuelles s’accompagne d’une collaboration avec les centres de santé qui ont donné leur avis favorable à travailler avec les mutuelles. Des démarches sont en cours pour formaliser ces partenariats.
Bien que prometteuse, cette initiative ne se poursuit pas sans difficultés. Les femmes membres des mutuelles sont confrontées au manque de ressources financières, à la faiblesse des infrastructures sanitaires locales et parfois à la méfiance des communautés vis-à-vis des mutuelles qui ne comprennent pas encore leur mode de fonctionnement.
Malgré ces défis, l’engagement de ces femmes ne faiblit pas. Elles participent activement aux réunions et campagnes de sensibilisation pour faire connaître et grandir les mutuelles.
« Au-delà, la santé des femmes, un enjeu de démocratie »
L’accès aux soins de santé n’est pas seulement une question médicale. La santé est avant tout un droit fondamental. La constitution congolaise reconnaît le droit à la santé comme un droit fondamental et garantit à chaque citoyen la protection de sa santé. Ce principe est également consacré par des engagements internationaux auxquels le pays est partie prenante, notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), la charte africaine des droits de l’homme et des peuples, ainsi que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Aussi, l’accès à la santé est une question politique et sociale. La santé est un enjeu important des Objectifs de développement durable (ODD), avec l’ODD 3, qui vise à permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge ». Garantir le droit à la santé c’est donc respecter les droits humains et assurer la justice sociale aux populations.
Les femmes sont à plusieurs niveaux utilisatrices du système de santé, que ce soit pour les consultations prénatales, les accouchements, la vaccination des enfants ou encore la gestion des maladies chroniques dans les familles. De ce fait, elles sont considérablement victimes des défaillances du système sanitaire. Il est donc crucial qu’elles soient intégrées dans les espaces de décision et dans les mécanismes de suivi et évaluation des politiques de santé.
Partant ce postulat, le projet Mama Télama incarne bien l’idée de « démocratie substantive » car il part de la réalité et du vécu des citoyennes et citoyens, renforce leur capacité à agir collectivement, à participer aux décisions qui les concerne, à faire entendre leur voix et à participer à l’amélioration de leur condition de vie. Il s’agit ici concrètement à renforcer le pouvoir d’agir des femmes et les amener à prendre part à la définition des politiques locales qui répondent à leurs besoins fondamentaux.Enfin, L’initiative Mama Télama s’inscrit bien dans l’ODD 5, qui vise à « parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles » car, elle favorise par sa démarche la participation active de femmes comme actrice de développement locale. Mama Téléma incarne ainsi dans sa vision un modèle alternatif de démocratie féministe locale basé sur la co-construction.
« Une vision à long terme »

Au-delà de ces mutuelles de santé communautaire, l’Association Kaani Assistance compte construire dans les villages un réseau d’entraide de femmes leaders formées et accompagnées pour devenir des interlocutrices auprès des pouvoirs publics. L’ambition est que ces femmes arrivent à intégrer des comités de gestions des centres de santé, à contribuer activement à la définition des politiques de santé communautaire et à l’élaboration des plans locaux de développement.
Cette initiative prévoit également d’introduire des mécanismes innovants de contrôle citoyen, tels que les baromètres citoyens, les enquêtes communautaires, les diagnostics participatifs, afin de permettre aux populations et en particulier aux femmes, d’évaluer les performances du système de santé local et de faire remonter les alertes ou les dysfonctionnements.
« L’avenir se construit avec les femmes »
Mama Télama n’est pas un simple programme de santé communautaire : c’est un mouvement. Un mouvement de femmes qui refusent de rester simples spectatrices, qui décident d’élever la voix, de faire respecter leurs droits, pour améliorer leur milieu de vie et bâtir un avenir digne pour elles-mêmes et leur communauté.
Luce Bénédicte GANGOUE
Coordonnatrice de l’Association Kaani Assistance